François Boucher
Paris, 1703 – 1770
La Mort d’Irène, sultane de Mahomet II, 1746
Graphite sur vélin
190 x 155 mm
Annoté en bas au centre : ...ne [sultane ?] de Mahomet
Provenance
J.-D. Lempereur (Lugt 1740)
Vente de sa collection, Paris, 24 mai-28 juin 1773, n°535
Gravure
Gravé par Claude Duflos le jeune pour l’ouvrage de J.-A. Guer, Mœurs et Usages des Turcs et leur Religion, leur Gouvernement civil, militaire et politique, avec un abrégé de l’Histoire Ottomane, Paris, Coustelier, 1746
Bibliographie
P. Jean-Richard, L’Œuvre gravé de François Boucher dans la collection Edmond de Rothschild au musée du Louvre, Paris, 1978, n°898, pp. 235-236
Les turqueries sont moins connues dans le style Rococo que les chinoiseries, mais elles connurent une mode à part entière. La menace turque qui prit fin en Europe, avec la libération de Vienne en 1683 et la reconquête d’une grande partie de la Hongrie par la suite, permit à la Turquie, comme ce fut le cas pour la Chine, de devenir une terre d’imagination inoffensive, dans laquelle quelques faits réels ou inventés pouvaient nourrir les fantaisies des esprits occidentaux. Naturellement, la polygamie et les mystères excitants du harem y tenaient une large part. L’ambassade de Mehmed Saïd Efendi Pacha chez Louis XV en 1742 déclencha un regain d’intérêt pour la Turquie, qui se traduisit notamment par la publication de l’ouvrage de Jean-Antoine Guer, Mœurs et Usages des Turcs, leur Religion, leur Gouvernement civil, militaire et politique, avec un abrégé de l’Histoire Ottomane (Paris, Coustelier, 1746). Ce livre était illustré par vingt-neuf gravures de Claude Duflos le jeune (1700-1786), dix d’après Noël Hallé[1], les dix-neuf autres d’après Boucher.
Notre dessin est préparatoire pour une de ces gravures, La Mort d’Irène, illustrant le chapitre 2 du livre I. Le cruel sultan Mahomet II (1451-1481), amoureux de la belle chrétienne Irène, cède à tous ses désirs. Les Janissaires remettent en cause cet amour qui laisse Mahomet II dans « une molle oisiveté ». Pour prouver que l’amour n’a pas de prise sur lui, Mahomet décide de faire rassembler tous ces officiers dans l’Hippodrome pour leur tenir le discours suivant : « […] « Sachez aujourd’hui que votre Empereur et non seulement le Maître de l’Univers, mais qu’il l’est encore de lui-même. » En finissant ces mots, son visage se couvrit de feu, ses yeux étincelants, & une espèce de fureur s’emparant de lui, il prit par les cheveux la tendre Irène […] & lui coupa la tête avant même qu’on eût pû pénétrer son dessein »[2]. Notre dessin illustre parfaitement ce passage : les Janissaires assemblés dans la partie inférieure sont agités par la crainte et l’horreur, et s’écartent, laissant la place centrale au drame. L’air cruel et impénétrable, Mahomet a déjà saisi Irène par les cheveux et s’apprête à la décapiter de son bras gauche tenant une épée. A l’arrière-plan, la foule répond à l’émoi des Janissaires. Nous retrouvons là toute l’habilité, propre à Boucher, à évoquer un Orient imaginaire et rêvé, aux sultans enturbannés et à aux fastueux apparats.
Les dessins au graphite sur vélin de Boucher et à la pierre noire sur papier de Hallé furent inclus dans la vente de Jean-Denis Lempereur, joaillier, collectionneur et graveur[3]. Notre dessin est vendu seul, sous le numéro 535, avec le commentaire suivant : « une scène de la tragédie de Mahomet II. Ce précieux dessein est à la mine de plomb sur vélin ». De cette série de dessins, on ne connaît aujourd’hui que quelques œuvres : Le Muphti et L’Audience du Cadi (localisations inconnues)[4], Le Capitan Bacha et Le Chef des Eunuques noirs (collection particulière)[5], La Sultane lisant au harem, L’Audience donnée par le Grand Turc et On apporte le lacet au prisonnier (collection particulière)[6], auxquels vient s’ajouter notre Mort d’Irène, la plus grande des compositions connues.
Nous remercions M. Alastair Laing qui nous a aimablement confirmé l’attribution de ce dessin et nous a fourni des éléments pour la rédaction de cette notice.
[1] N. Willk-Brocard, Une dynastie, les Hallé, Paris, 1995, p. 478-483, n°N296-304. On ne connaît plus aujourd’hui que deux des dessins originaux pour la gravure, conservés en collections particulières (Willk-Brocard, op. cit., n°N398 et N305).
[2] J.-A. Guer, op. cit., p. 45.
[3] Paris, 24 mai-28 juin 1773, n°543-548, 596 et 597.
[4] Voir P. Jean-Richard, op. cit., p. 231 et n°891.
[5] Paris, Artcurial, 19 juin 2012, n°48 et 49.
[6] New York, Sotheby’s, 30 janvier 2013, n°265.