Henry Cros
Narbonne, 1840 – Sèvres, 1907
La Belle Olive, vers 1874
Relief en cire polychrome sur ardoise
14 x 14 cm
Signé vers le bas à gauche : H. Cros
Annoté à gauche : L’Olive de / Messire Joa / chim du / Bellay
Provenance
Probablement collection de l’acteur Alexandre Honoré Ernest Coquelin, dit Coquelin cadet (Boulogne-sur-Mer, 1848 – Suresnes, 1909)
Fils d’un éminent professeur de droit, Henry Cros naquit dans un milieu pour lequel la science eut autant d’attraits que l’art. Antoine, son frère aîné, fut médecin et littérateur ; Charles, son frère cadet, poète, philologue et chimiste, trouva la formule du phonographe et de la photographie en couleurs que d’autres exploitèrent ; Henry fut peintre, sculpteur, cirier et verrier. Formé par François Jouffroy et Jules Étex, il commence par travailler le bronze et le marbre. Curieux des procédés anciens, il entreprend parallèlement des recherches sur la sculpture en cire, ce diminutif de l’ancienne statuaire polychrome. En 1867, il modèle ainsi un Charles VII et en 1869 réalise pour Alexandre Dumas fils en qui il a trouvé un mécène une copie de la Tête de jeune fille de la collection Wicar de Lille. Des années de recherche et de pratique aboutissent en 1884 à la publication du traité écrit en collaboration avec Charles Henry, L’Encaustique et les autres procédés de peinture chez les anciens : la technique de la peinture à la cire et au feu y est redécouverte par l’étude des textes et des monuments. L’ouvrage fait date, qui entre en résonance avec les recherches contemporaines sur la polychromie grecque. Puis Cros va restituer cet autre art perdu, la pâte de verre coloriée aux oxydes métalliques, moins fragile que la cire, qui lui permet elle aussi de réaliser l’alliance harmonieuse de la couleur et de la forme. Ses œuvres en verre retrouvent la ligne synthétique des bas-reliefs antiques – Circé (Sèvres, cité de la Céramique), Le Fil d’Ariane (Limoges, musée Adrien Dubouché), Corinthe (Paris, musée d’Orsay) - ou sont une évocation des éléments – La Source gelée et le soleil (Limoges, musée Adrien Dubouché) –, grâce à une matière fluide et solide. Mais Cros veut accroître les proportions de ses œuvres : il lui faut de plus grands fours et un matériel coûteux. En 1891, la Direction des Beaux-Arts met à sa disposition un atelier à la Manufacture de Sèvres qu’il occupera jusqu’à sa mort. Il peut alors donner de grands formats : la fontaine de L’Histoire de l’Eau pour le Salon de 1894 (Paris, musée d’Orsay), le bas-relief de L’Histoire du feu présenté à l’Exposition universelle de 1900 (Paris, musée des Arts Décoratifs).
Parmi la vingtaine de cires produites par Cros entre 1867 et 1880, un certain nombre comme Le Prix du Tournoi (Paris, musée d’Orsay), Isabeau de Bavière (idem) ou les Dames de Thélème (Paris, musée du Petit-Palais) sont inspirées par la manière précieuse et colorée du Moyen Âge. Parce que la sculpture en cire tient de l’orfèvrerie et de la miniature, elle convient à Cros, cet « artiste reporté par des affinités naturelles vers le style et les procédés de l’art primitif »[1]. Il en va de même pour notre relief, illustration de L’Olive (1549-1550) de Du Bellay, ce recueil où le poète qui vient d’écrire La Défense et Illustration de la langue française s’essaie pour la première fois en langue vulgaire aux formes du sonnet et de l’ode hérités des anciens et chante comme Pétrarque la dame de ses pensées. Si l’ouvrage plut pour sa nouveauté à sa publication, il suscita aussi la curiosité des contemporains puis des érudits modernes qui cherchèrent à identifier la dédicataire du poète. On crut voir dans L’Olive une anagramme de Viole, du nom d’une nièce de l’évêque angevin Guillaume Viole qui succéda à Eustache du Bellay. On pense aujourd’hui que la destinataire est imaginaire et que le recueil est avant tout un exercice de style où le poète s’essaie à traduire les images amoureuses d’Horace, d’Ovide et de Pétrarque pour célébrer une beauté idéale et l’Idée de la Beauté.
En 1874, Cros fait don à José-Maria de Hérédia d’une première version de L’Olive (Paris, musée d’Orsay)[2], intitulée La Belle Viole ; le poète, en retour, lui dédie l’un des sonnets des Trophées[3]. L’anagramme supposée devient pour Cros prétexte à une métonymie, qui, allant du tout à la partie, montre la Belle Viole jouer de l’instrument du même nom. Le sculpteur réalise ensuite deux autres versions, l’une acquise par Charles Hayem en 1877 (détruit)[4], et une autre pour les collections de l’acteur Coquelin cadet, probablement notre sculpture. Intitulée cette fois-ci La Belle Olive, notre sculpture a conservé son cadre d’origine : celui-ci, en poirier noirci, avec un passe-partout en bois doré et un verre protecteur très épais, a très probablement été commandé par l’artiste lui-même.[5] (fig. 1). Par rapport à la version conservée au musée d’Orsay, notre relief présente un cadre en cire garni de rameaux d’olivier et la vision est plus large, la Belle Olive étant présentée aux trois-quarts. Le modelé des mains et du visage est plus défini, la ligne du dessin plus synthétique, décrivant un profil pur et une haute silhouette. La cire colorée, cette matière translucide et solide qui donne aux tons de la peinture leur suavité et leurs reflets soyeux, permet de donner chair aux métaphores figées reprises par Du Bellay au pétrarquisme, les « cheveux d’or » de la dame, son « front de marbre », son « sein d’albâtre », ses « mains d’ivoire », dans un médaillon qui participe de la sculpture et de l’orfèvrerie. Et comme les primitifs, Cros simplifie la ligne pour donner plus de force à son expression en choisissant le trait essentiel qui seul atteint à la beauté idéale.
[1] Paul de Saint-Victor, La Liberté, 24 juin 1873.
[2] W. Adriaenssens et al., Roberto Polo, the Eye, Londres, 2011, p. 178. Cette version a été gravée par A. Prunaire pour le numéro 2 du 1er avril 1874 de La Revue du monde nouveau créée par Charles Cros.
[3] Les Trophées, Paris, 1893, p. 96 : « La Belle Viole // A vous trouppe légère/ Qui d’aile passagère / Par le monde volez…. / Joachim du Bellay. // A Henry Cros // Accoudée au balcon d’où l’on voit le chemin / Qui va des bords de Loire aux rives d’Italie, / Sous un pâle rameau d’olive son front plie. / La violette en fleur se fanera demain. // La viole que frôle encor sa frêle main / Charme sa solitude et sa mélancolie, / Et son rêve s’envole à celui qui l’oublie / En foulant la poussière où gît l’orgueil Romain. // De celle qu’il nommait sa douce Angevine, / Sur la corde vibrante erre l’âme divine / Quand l’angoisse d’amour étreint son cœur troublé ; // Et sa voix livre aux vents qui l’emportent loin d’elle, / Et le caresseront peut-être, l’infidèle, / Cette chanson qu’il fit pour un vanneur de blé ».
[4] Donnée à l’État en 1899, cette cire, déposée au musée de Narbonne, fut malheureusement détruite en 1995 (le cadre est conservé au musée d’Orsay).
[5] Il est très proche du cadre de la version Hayem de la Belle Viole ou de celui qui entoure le portrait de Jeanine Dumas (Paris, musée d’Orsay).