Gabriel de Saint-Aubin
Paris, 1724 – 1780
Feuille d’études : un homme debout avec un tricorne sous le bras, un couple dansant sous un arbre, vers 1760
Pierre noire, sanguine, lavis brun et rehauts de gouache blanche
200 x 140 mm
Provenance
Baron Jérôme Pichon (1812-1896)
Vente de sa collection, Paris, Hôtel Drouot, 17-21 mai 1897, n°132
Bibliographie
E. Dacier, Gabriel de Saint-Aubin, Paris, 1931, tome II, n° 1091
Artiste marginal, chroniqueur bohème de Paris sous le règne de Louis XV, Gabriel de Saint-Aubin a arpenté sa vie durant le pavé de la capitale, un carnet de croquis à la main. Depuis la redécouverte de l’artiste, grâce aux frères Goncourt, l’admiration pour l’acuité de son regard, la rapidité de son coup de crayon et sa liberté de ton ne s’est jamais démentie. Mais si l’artiste est surtout connu aujourd’hui pour ses représentations dessinées d’évènements publics, qu’il s’agisse de fêtes ou de sermons, de cérémonies officielles (Louis XVI posant la première pierre de l’amphithéâtre de l’école de chirurgie), de catastrophes (L’Incendie de l’Hôtel-Dieu) et autres manifestations qu’il est souvent le seul à avoir capturées, l’artiste a cependant cherché à se faire connaître comme peintre au début de sa carrière.
Après une formation auprès d’Etienne Jeaurat et d’Hyacinthe Colin de Vermont, Saint-Aubin fréquente l’atelier de François Boucher. Au début des années 1750, il tente à plusieurs reprises d’obtenir le prix de Rome, en 1752 et 1754, et reçoit le second prix de peinture en 1753. Mais il se brouille finalement avec l’Académie royale de peinture et de sculpture et devient membre de l’Académie de Saint Luc où il enseigne et expose des scènes de la vie parisienne comme la Promenade à Longchamp (Perpignan, musée Hyacinthe Rigaud) ou La Parade du boulevard (Londres, National Gallery). Mais Saint-Aubin s’exerce également à la fête galante, dans la suite des œuvres de Watteau. C’est ainsi qu’il peint vers 1762 La Danse à la campagne, aujourd’hui conservée au Getty Museum de Los Angeles, où, s’inspirant des fêtes parisiennes, il cherche à évoquer un tout autre univers, celui du monde paysan.
Pour la Danse à la campagne, comme pour la Promenade à Longchamp ou La Parade du boulevard, Saint-Aubin a réalisé des dessins préparatoires, soit de la composition dans son ensemble, soit de détails de personnages. Cette manière de travailler, inspirée par son éduction dans le monde académique, disparaitra rapidement par la suite. Nous connaissons ainsi quatre dessins préparatoires pour le tableau du Getty, auquel vient s’ajouter maintenant celui présenté ici. Il s’agit d’une étude pour la partie centrale du tableau (plume et encre de Chine, 215 x 327 mm, ancienne collection François Boucher), d’une étude pour le groupe de droite au premier plan (pierre noire et sanguine, 130 x 195 mm, ancienne collection Albert Meyer)[1], d’une étude pour le groupe au premier plan (pierre noire et sanguine, plume et encre brune, 120 x 193 mm, ancienne collection J.-P. Heseltine)[2] et enfin d’une étude pour un musicien sur la plate-forme à droite et pour le personnage lui donnant un verre de vin (pierre noire et sanguine, rehauts de craie blanche, 130 x 130 mm, British Museum, fig. 4)[3]. Notre feuille s’insère parfaitement dans ce groupe et montre une étude pour le groupe de danseur présents sur la gauche et pour un homme debout, le tricorne sous le bras, qui ne semble pas avoir été utilisé dans le tableau. Au lavis brun, l’auteur a placé un arbre derrière le couple, qui suffit à évoquer le contexte extérieur de cette scène.
Il faut noter que dans ce groupe de cinq dessins, trois proviennent de la collection de Jérôme, baron Pichon et figurent dans la vente de sa collection en 1897 : il s’agit des dessins de l’ancienne collection Heseltine, de celui du British Museum et du nôtre. Il n’est donc pas impossible de penser que ce groupe de dessin est resté lié jusqu’à sa dispersion lors de la vente de la collection Pichon. Par ailleurs, les dimensions des feuilles Albert Meyer, Heseltine et de celle présentée ici sont très proche (environ 190/200 x 120/140 mm) et il est raisonnable de penser qu’ils proviennent tous d’un même carnet démembré. Notre dessin est particulièrement comparable au dessin du British Museum par sa technique de pierre noire assez grasse, rehaussée de sanguine ou de lavis. Dans ces deux feuilles, Gabriel a également figuré plusieurs motifs qu’il n’a pas utilisé dans son tableau (dans le cas de notre dessin, celui de l’homme au tricorne).
On retrouve dans notre feuille tout ce qui fait le charme des feuilles d’études de Gabriel de Saint-Aubin, le côté informel des carnets de croquis où se trouvent juxtaposés diverses études de figures. Ces croquis imitent la pratique originale de Watteau, qui disposait avec art sur la feuille ses études de personnages à la sanguine. Il est cependant rare de pouvoir relier à une composition achevée ces croquis qui semblent apparemment dû au hasard et notre dessin est d’autant plus précieux qu’il peut être rapproché de la peinture du Getty Museum et de ses dessins préparatoires.